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Comme beaucoup de
champions, Nuage Noir a une histoire. La sienne s’apparente plus à une
série de rebondissements qu’à un conte de fées. Qui mieux que
Jean-François Pré, un de nos journalistes hippiques les plus éminents,
aurait pu décrire cette part de rêve qui anime tous les amoureux des
trotteurs. |
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La fabuleux destin de … Nuage Noir.
Marc Azot
est un passionné de trot sur lequel la malchance s’acharne. Au tout
début, il s’agit d’un jeune étudiant de 18 ans qui fréquente Vincennes
assidûment en se disant : «Le jour où j’aurai de l’argent, je
deviendrai propriétaire !»
Ce jour arrive et par l’intermédiaire
d’un ami, Marc Azot fait la connaissance d’Alain Laurent, qui lui
achète un cheval dans une vente Levesque. Après avoir gagné en
province, Marc s’apprête à goûter un premier succès parisien. Hélas,
la réunion est perturbée par une grève du PMH …
Signe indien
«C’était le jour de l’émission de Guy Lux, «Un soir aux
courses», raconte-t-il. Le public mécontent avait envahi la piste. Il pleuvait
à verse. Mon cheval tournait sur la piste, dans l’énervement général.
Il déçut, et nous ne l’avons jamais retrouvé. J’ai eu jusqu’à dix-huit
trotteurs de suite sans connaître la moindre réussite. Le miracle se
produisit au dix-neuvième lorsque Pierre Vercruysse nous proposa
d’acheter une jument à réclamer»
Vous l’avez deviné, cette jument, Gironde du Avre, est la maman de
Nuage Noir. Pour l’heure, c’est encore une sportive qui essaye de
faire plaisir à ses propriétaires. Mais le jour où elle s’apprête à
leur offrir une victoire, elle s’accroche !
Gironde du Avre prend alors la direction du Midi, où son nouvel
entraîneur, Eric Prudhon, conseille à ses propriétaires de ne pas
insister. Découragé mais tenace, Marc Azot opte pour la reproduction.
«Monsieur Dumouch (ndlr : qui est aussi le président de la
Fédération du Sud-Ouest) acceptait
d’accueillir gracieusement la jument dans son haras, à condition que
nous payions la saillie de l’étalon. Il devenait propriétaire de la
poulinière et en échange, il nous rétrocédait son premier poulain.»
Le signe indien n’a, toutefois,
pas achevé sa noire besogne. Le premier produit de Gironde du Avre
meurt quinze jours après sa naissance. Jean Dumouch téléphone à Marc
Azot pour lui annoncer la mauvaise nouvelle : «J’ai perdu un an de pension et vous, le prix de la
saillie… Mais comme je vous ai promis un poulain vivant, on remet ça.
Choisissez votre étalon !»
Marc Azot répond du tac au tac :
«Quel est le moins cher ?» Dumouch : «Cyrus Buissonay, 5000
francs». Banco !
Le soleil se lève
Un an plus tard,
voici enfin le poulain tant attendu, et si le soleil se lève enfin sur
l’horizon de Marc, il s’appelle… Nuage Noir ! La première fois qu’il
l’aperçoit dans un pré, Azot n’y voit qu’un mauvais présage. «De tous les yearlings que me montrait monsieur
Dumouch, le nôtre était de loin le plus laid !»
Quelques mois plus tard, Azot téléphone à Dumouch pour prendre des
nouvelles. «Alors, qu’est-ce que je fais ?», lui dit-il. «Je ne sais pas, répond Dumouch, c’est votre poulain. De toute façon,
vous ne pouvez pas le laisser ici. Il faut le mettre à
l’entraînement.» Dumouch, qui connaît
bien ses ouailles, lui donne alors ce conseil : «Mettez-le chez un petit entraîneur qui ne vous coûtera
pas trop cher mais dont je vous garantis le sérieux : Jean-Pierre
Lagenèbre.»
Nuage Noir se retrouve donc chez son premier mentor, et Marc Azot en
oublie complètement l’existence, jusqu’au jour où il rencontre
fortuitement l’entraîneur. «Dites donc, s’extasie celui-ci, vous
avez un drôle d’engin ! C’est le meilleur de mes dix poulains.»
Azot le regarde incrédule …
Le cheval se qualifie en juin. Coup de téléphone de l’entraîneur : «Monsieur Azot, votre cheval s’est qualifié en 1’19’’ à
Bordeaux. Un chrono exceptionnel sur une telle piste !»
«Très bien.
Alors, qu’est-ce qu’on fait ?», dit Azot. «Moi
rien !», répond l’entraîneur. «Comment ça
rien ? Vous ne voulez pas le courir ?» «Non monsieur, ce n’est pas un
cheval pour moi ! Cela fait trente-cinq ans que j’ai des chevaux… Je n’en
ai jamais vu un comme ça ! Il faut le mettre chez un grand
entraîneur.»
Troisième acte
Arrive alors le troisième acte de cette incroyable
histoire. Suivant les recommandations de Jean-Pierre Lagenèbre, Marc
Azot s’adresse à l’un des plus célèbres entraîneurs-drivers de
Vincennes (dont nous tairons le nom pour d’évidentes raisons). Au
téléphone, l’homme pressenti accepte. Avant de se rétracter quelques
jours plus tard à Vincennes : «Je croyais à une plaisanterie ! Désolé, je
n’ai pas un box de libre pour votre cheval.»
Mais Nuage Noir est déjà sur le chemin de la Capitale. Nous sommes en
nocturne, la quatrième vient de se courir. Il reste une heure et demie
pour trouver une écurie d’accueil. Azot examine son programme, son
regard s’arrête sur le nom d’un jeune qui monte : Thierry Duvaldestin.
Sans attendre, il va à sa rencontre. Le Normand se fait prier pour
prendre Nuage Noir à l’essai… Mais Azot peut respirer !
La suite,
tout le monde la connaît. Voici donc la fabuleuse histoire de Nuage
Noir, conte de fées moderne dont le scénario n’aurait pu être inventé,
tant il est extraordinaire. Si cette aventure était une fable, il
serait facile d’en tirer la morale :
Du cheval, la meilleure science
Est évidemment la patience
Et du
propriétaire la plus grande qualité :
Ne jamais désespérer !